FRAPPÉS D’ADMIRATION PAR LA RENAISSANCE DES TOILES DE GRANDS MAÎTRES ET PAR LE PARTENARIAT ART-SCIENCE – CHRONIQU’ART – Avril 2014

FRAPPÉS D’ADMIRATION PAR LA RENAISSANCE DES TOILES DE GRANDS MAÎTRES ET PAR LE PARTENARIAT ART-SCIENCE

Est-ce que les Renoir, Van Gogh, Picasso, Rothko et autres, tous autant célèbres, auraient imaginé que leurs œuvres eussent été altérées par le temps et la lumière au point de ne devenir qu’une pâle copie des originales ? Ont-ils pensé que leurs réalisations resteraient éternellement intactes et qu’elles traverseraient mers et mondes sous leurs plus beaux atours ?

Grâce aux technologies de fine pointe telle que la spectroscopie Raman, développée par le professeur Richard P. Van Duyne et son équipe, de vieux chefs-d’œuvre renaissent. Ce professeur de chimie et d’ingénierie biomédicale à l’Université Northwestern en Illinois a redonné ses couleurs de noblesse au tableau Madame Léon Clapisson, peint par Pierre-Auguste Renoir. Ils ont résolu le mystère des « vrais carmins », pigments brillants et très sensibles à la lumière, disparus de la toile depuis 1883. « L’analyse et l’identification des molécules organiques ont fait ressortir la visualisation numérique des couleurs originales », explique Van Duyne. Les « rouges vifs » reconstitués sont analogues aux originaux fraîchement peints par Renoir.

Renoir True Colors : Science Solves a Mystery est en exposition au Art Institute de Chicago jusqu’au 27 avril 2014.

Sources :

GOLDE, Katie. « Renoir reds revealed at Art Institute exhibit and AAAS science summit », Medill Reports,[http://news.medill.northwestern.edu/chicago/news.aspx?id=228036]

Voici quelques mots au sujet de la méthode du Dr Joris Dik, professeur en science des matériaux à l’Université de Delft en Hollande. Pour lui, la cartographie de fluorescence des rayons X et le rayonnement synchrotron sont des outils de recherche. Il a réussi à rétablir l’aspect original d’un portrait peint par Vincent van Gogh enfoui sous d’autres couches de peinture (car ce grand maître réutilisait ses canevas plus d’une fois). Joris Dik a dévoilé au grand jour les sujets peints, couche après couche, offrant un aperçu unique et intime de la genèse de l’œuvre de Van Gogh. Il a mis en relief les gammes de couleurs – d’une combinaison chimique tout aussi diversifiée – utilisées par l’artiste hollandais. La reconstitution possible grâce au procédé utilisé par Joris Dik s’est avérée être le chaînon manquant du visage caché des compositions de l’artiste, dévoilant ainsi toute une série de têtes peintes durant son séjour à Nuenen, aux Pays-Bas, durant l’hiver 1884-1885.

Sources :

DIK, Joris, et al. « Visualization of a Lost Painting by Vincent van Gogh Using Synchrotron Radiation Based X-ray Fluorescence Elemental Mapping » dansAnalytical Chemistry, American Chemical Society, 1er aout 2008

DESY. DORIS III Archive, [http://photon-science.desy.de/index_eng.html]

Quant au physicien Dr Volker Rose, chercheur au Laboratoire national d’Argonne de Chicago, il utilise la nanotechnologie en ce qui concerne ses recherches à propos du patrimoine artistique afin de mettre au grand jour les aspects méconnus de certaines toiles disséquées microscopiquement par rayons X. Ainsi, il a découvert la provenance des types de couleurs dont se servaient certains artistes du début du XXe siècle. Il a conclu que Picasso, pionnier de cette audacieuse technique, avait utilisé de la peinture pour bâtiment dans certaines œuvres.

La collaboration entre Francesca Casadio, chimiste responsable du Art Institute’s Conservation Science Department à Chicago, et Volker Rose, chercheur novateur, ressemble plutôt au travail d’enquêteurs et de détectives que l’on aperçoit dans les séries télévisées ! En 2011, à l’aide d’appareils de micromanipulation, ils ont procédé à l’analyse d’échantillons de peinture provenant de cinq tableaux originaux de Picasso. Ils en sont venus à la conclusion que les matières colorantes étaient exactement les mêmes fabriquées par la compagnie Ripolin. Il semble évident que, dès 1912, Picasso utilisât la toute première peinture commerciale pour bâtiment.

Le très prolifique maître avait un intérêt pour cette peinture étincelante, changeant ainsi le mode traditionnel d’utilisation du matériau réservé aux arts. Cela lui a donné l’occasion de se servir des peintures lustrées, de faire des angles nets et bien définis, de donner des coups de pinceau impromptus et, même, de laisser tomber des gouttes de couleurs de peinture émaillée, au séchage rapide, et plus tard, d’acrylique.

« Par ailleurs, une intrigante entorse à la science et à l’histoire se produisit. L’oxyde de zinc si cher au cœur de Picasso, élément de la même provenance que celui réservé au bâtiment, a été employé, par la suite, dans les transistors, les émetteurs de lumière ultraviolette et, même, dans la fabrication de capteurs chimiques », selon Volker Rose.

Parlant d’art, Madame Casadio dit : « Du point de vue des arts, l’utilisation des rayons X extrêmement puissants révolutionne le travail des historiens. Les plus récentes découvertes dans le monde des arts nous amènent à saisir davantage la pensée et l’intérêt des artistes. »

L’étude des deux scientifiques a abouti à ces découvertes après l’expérimentation sur le tableau intitulé Fauteuil rouge de Picasso. 

Sources :

GREGORY, Ted. « Mystery, master artist, high-tech science, love and eBay », Chigaco Tribune, 10 octobre 2012, [http://articles.chicagotribune.com/2012-10-10/news/chi-mystery-master-artist-hightech-science-love-and-ebay-20121010_1_high-tech-science-ebay-mystery]

GREGORY, « Ted. Physicists and X-ray help solve Picasso mystery », Chicago Tribune, 10 octobre 2012, [http://articles.chicagotribune.com/2012-10-10/news/ct-met-picasso-csi-20121010_1_picasso-pieces-paint-art-institute]

WALKER, Chris. « Picasso ‘CSI’ mystery », Chicago Tribune, [http://www.chicagotribune.com/videogallery/72812508/News/seattle.antennatv.tv]

WALKER, Chris. « “Red Armchair”, a painting by Pablo Picasso, attracts visitors in the Modern Wing of the Art Institute », Chicago Tribune, [http://www.chicagotribune.com/news/tribnation/chi-mystery-master-artist-hightech-science-lov-001,0,2021314.photo]

Un autre exemple d’innovation scientifique à propos de la renaissance de toiles: Jens Stenger, scientifique de la conservation au Harvard Art Museum à Boston, qui, par l’utilisation d’un projecteur numérique, a pu calculer la coloration exacte de matières originales utilisées par les maîtres.

Il s’est vu confier les cinq pièces d’une murale de Mark Rothko, peintre humaniste abstrait. Les composantes du tableau exposé dans le Hall de l’Université Harvard depuis 1963, étaient sérieusement endommagées par la lumière, à un point tel que la couleur cramoisie sur les canevas avait tourné au bleu.

La technique de Stenger paraît simple. À l’aide d’un projecteur de lumière digitale, il envoie une image de la couleur exacte retrouvée sur la surface peinte. Cette image projetée fait apparaître la pigmentation originale. Stenger avait préalablement mis au point un logiciel déterminant précisément les fréquences de la couleur de la lumière ambiante et celles des couleurs identiques retrouvées dans l’ensemble mural. C’est une autre forme de restauration qui a demandé beaucoup de travail.

En 1988, Paul Whitmore a évoqué le fait que le cramoisi très fané était un pigment synthétique mélangé avec un peu de bleu outremer. Certes, le soleil a décoloré les couleurs en grande partie. Cependant, le bleu outremer a aussi contribué à catalyser le blanchiment du lithol rouge contenu dans la murale.

Les ouvrages restaurés seront exposés sous peu au Harvard Art Gallery de Boston.

Sources :

CUELLAR, Santiago et al. Non-Invasive Color Restoration Of Faded Paintings Using Light From A Digital Projector[http://educators.mfa.org/sites/educators.mfa.dev/files/rando20120926-6574981.pdf]

 

En conclusion, les tendances dans la conservation des pièces d’art sont la minimisation des interventions sur celles-ci, principalement lorsqu’il s’agit d’art contemporain.

Le monde de l’art connaît la renaissance des toiles. Des partenariats sont étroitement établis entre l’art et les sciences.

L’envers de la médaille : toutes ces nouvelles technologies de pointe ne permettent pas encore de démasquer les faussaires qui maîtrisent l’art de bien copier, avancent les experts…

Nul doute que ces scientifiques sont d’avant-garde lorsqu’il s’agit d’intégrer le monde des arts à la société en vulgarisant leurs démarches de restauration.

L’objectif que poursuit le Conseil des arts du Canada est le suivant : « que les arts, sous toutes leurs formes et expressions, puissent être considérés comme un pilier essentiel de notre système sociétal et ce, au même rang que la science et les technologies afin d’aider le Canada à envisager son avenir en tant que leader mondial de l’économie créative », selon Monsieur Joseph L. Rotman, président du Conseil.

« Les arts peuvent aider à résoudre les grands défis d’aujourd’hui et de demain, grâce à la créativité », dit-il.

Pour vous convaincre davantage, voici un extrait de la conférence rédigée par Monsieur Joseph L. Rotman, président du Conseil des Arts du Canada, et prononcée le 13 novembre 2013. Elle est intitulée : Investir dans la créativité : une priorité nationale.

Il dit : « J’aimerais vous citer un extrait du livre Creative Confidence – Unleashing the Creative Potential within us All de David et Tom Kelley d’IDEO, firme de design célèbre, notamment, pour avoir conçu la première souris pour Apple et dessiné le premier ordinateur portatif avant d’appliquer ses processus créatifs à des domaines comme les affaires ou la recherche médicale. Ils écrivent : « La valeur réelle de la créativité ne se révèle toutefois que si vous avez le courage de concrétiser vos idées. Cette combinaison de l’idée et de l’action définit la confiance créative, soit la capacité d’imaginer de nouvelles idées et le courage de les mettre à l’essai. Nous croyons que notre énergie créatrice constitue l’une de nos plus précieuses ressources. Elle nous aide à trouver des solutions novatrices à nos problèmes les plus complexes. »

Les frères Kelley poursuivent : « C’est ce qu’on appelle la pensée conceptuelle, soit le processus que nous utilisons pour créer et innover. La pensée conceptuelle constitue une méthodologie qui peut servir à résoudre un éventail de questions personnelles, sociales et commerciales de façon novatrice et créative ».

Il est évident que tous les chercheurs scientifiques, tels que Richard Van Duyne, Joris Dik, Volker Rose, Francesca Casadio, Jens Stenger, pour ne nommer qu’eux, qui appliquent leur savoir à la résolution de problématiques les plus complexes dans le monde de la restauration de trésors artistiques, font part d’une incommensurable créativité.

Sources :

ROTMAN, Joseph L. Investir dans la créativité : une priorité nationale, Conseil des relations internationales de Montréal, 13 novembre 2013 [http://www.canadacouncil.ca/fr/conseil/salle-des-nouvelles/nouvelles/2013/joseph-l-rotman-investir-dans-la-creativite-une-priorite-nationale]

 

SÜ (Suzanne Fortin)

Artiste peintre

fortinsuzanne.com

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