LES INTENTIONS ET LES ŒUVRES D’ART (2e partie) – CHRONIQU’ART – Juin 2014

LES INTENTIONS ET LES ŒUVRES D’ART (2e partie)

/INTENTIONS ET SPECTATEUR

Dans son ouvrage L’œuvre d’art et ses intentions, Alessandro Pignocchi nous permet de comprendre la façon dont nous « catégorisons un objet comme une œuvre d’art[1] ». Les intentions de l’artiste sont à la base de ce processus de catégorisation.

Voici des exemples où ce processus est à l’œuvre. Si, lors d’une promenade dans un parc, vous aperceviez un grand nombre d’arbres (178) emballés dans 55 000 m2 de toile; si vous étiez devant des îles encerclées de polypropylène de couleur fuchsia, seriez-vous enclin à qualifier ces réalisations d’artistiques? Pour classer ce travail, de Christo et Jeanne-Claude, Wrapped trees, 1998, et Surrounded Islands,1980-83 (http://www.christojeanneclaude.net), parmi ceux relevant de l’art, il faudrait premièrement que vous sachiez que ceux qui ont réalisé cet exploit avaient l’intention de créer une œuvre et non de prodiguer des soins à des végétaux. Ensuite, pour que vous puissiez apprécier cette œuvre d’art, vous auriez eu besoin de certaines informations pour vous aider à comprendre la démarche des artistes et connaître leurs intentions. Sinon, sans aucune référence, l’œuvre demeure le résultat de coups de pinceau donnés n’importe comment ou de tissus jetés sur des arbres. Mais votre rapport à l’œuvre pourrait être différent, sachant que celle-ci repousse les règles et les limites de l’art, par exemple, ou encore le rend accessible à tous. Ayant reçu l’information que certaines œuvres ont demandé plusieurs années de préparation, peut-être alors naîtrait-il en vous une certaine curiosité pour le travail de ces artistes.

D’après le « scénario intentionnel » de Pignocchi, « en grandissant, chacun d’entre nous intègre certaines fonctions possibles des objets communément appelés « œuvres d’art ». Ensuite, nous utilisons nous-mêmes ce concept pour catégoriser un objet lorsque nous considérons, ne serait-ce qu’implicitement, qu’il a été conçu avec l’intention de remplir une ou plusieurs des fonctions que nous avons déjà acceptées comme des fonctions des œuvres d’art[2] ». Ces mécanismes sont à l’œuvre dans notre quotidien, au-delà du domaine artistique. Selon l’auteur de cet ouvrage, très jeune, un enfant est capable de reconnaître un objet et sa fonction après une seule démonstration[3]. « Face à un artefact, notre système cognitif se demande implicitement : à quoi cet artefact sert-il? Quels problèmes son créateur voulait-il résoudre? Puisque leurs fonctions sont complexes et variées, les œuvres d’art sollicitent particulièrement ces mécanismes[4].»

Les intentions de l’artiste sont au cœur de l’objet d’art. Le spectateur considère l’œuvre de façon inconsciente comme le résultat d’une démarche[5]. Les intentions guident l’artiste tout au long du parcours et le spectateur en tient compte dans son processus de catégorisation.

Pour ma part, je pourrais qualifier ma première rencontre avec un Van Gogh bouleversante. Surprise de cette réaction, puisque j’avais vu à maintes et maintes reprises des images et des reproductions de ses œuvres, je me suis mise spontanément, à l’aide des connaissances que j’avais, à chercher le pourquoi et le comment de cette réaction. J’ai constaté que certaines caractéristiques plastiques de l’œuvre me permettaient de ressentir une charge intensive d’émotions. Le fait que j’aie des connaissances sur la vie et l’œuvre du peintre ajouta à mon expérience qui s’en trouvait imbibée. Personnellement, je sais que j’ai été influencée par le personnage et que je lui ai attribué des intentions au moment de la création de l’œuvre. Il est évident que les réelles « intentions de l’artiste sont inaccessibles : il s’agit d’événements privés se déroulant dans l’esprit de l’artiste, que le spectateur ne pourra jamais connaître. […] Nous attribuons spontanément, et même sans le vouloir et sans nous en rendre compte, des intentions à l’artiste[6].»

Et pour vous, comment se passe cet exercice de réception de l’œuvre? Vous rappelez-vous un parcours de réflexions au contact d’une œuvre? Qu’est-ce qui vous fait dire qu’une œuvre est plus grandiose qu’une autre? Les intentions de l’artiste font probablement partie de ce processus décisionnel.

[1] PIGNOCCHI, Alessandro, L’Œuvre d’art et ses intentions, Paris, Odile Jacob, 2012, p. 92.

[2] L’Œuvre d’art et ses intentions…op. cit.,  p. 92.

[3] L’Œuvre d’art et ses intentions…op. cit.,  p. 138-139.

[4] L’Œuvre d’art et ses intentions…op. cit.,  p. 139.

[5] L’Œuvre d’art et ses intentions…op. cit.,  p. 137.

[6] L’Œuvre d’art et ses intentions…op. cit.,  p. 112.

 

Annie Gauthier, artiste et rédactrice pour NECT’ART

www.anniegauthierart.wordpress.com

www.anniegauthier.net

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